La chèvre de M. Seguin 6

Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois :
« Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous. Laissez-moi aller dans la montagne.
– Ah ! mon Dieu !… Elle aussi ! » cria M. Seguin stupéfait, et du coup, il laissa tomber son écuelle,… puis, s’asseyant dans l’herbe, à côté de sa chèvre :
« Comment, Blanquette, tu veux me quitter ? »
Blanquette répondit :
« Oui, monsieur Seguin.
– Est-ce que l’herbe te manque ici ?
– Oh ! non, monsieur Seguin.
– Tu es peut-être attachée de trop court ; veux-tu que j’allonge la corde ?
– Ce n’est pas la peine, monsieur Seguin.
– Alors, qu’est-ce qu’il te faut ? Qu’est-ce que tu veux ?
– Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
– Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra ?…
– Je lui donnerai des coups de cornes, monsieur Seguin.
– Le loup se moque bien de tes cornes. Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l’an dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s’est battue avec le loup toute la nuit… puis le matin le loup l’a mangée.
– Pécaïré ! pauvre Renaude !… Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez- moi aller dans la montagne.
Alphonse Daudet

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